Article paru dans un journal local, suite à notre stage d'été au Pays Basque


Le moment des repas est privilégié, les clowns tombent le nez. (PHOTO ISABELLE CASTÉRA)
Le moment des repas est privilégié, les clowns tombent le nez. (PHOTO ISABELLE CASTÉRA)

Il paraît qu'un berger qui se baladait dans la montagne ne cesse depuis de manger son béret. On dit qu'il a pris peur. Il se promenait tranquillement au milieu des fougères, ne pensant croiser que des pottoks et quelques lapins, lorsqu'il entendit des cris bizarres. Il s'approcha, les cris se précisant. Et là, devant le chêne centenaire, il vit une scène étrange. Des gens normaux, avec cependant un nez de clown, s'agitaient, battaient des ailes de papillon en tournoyant autour de l'arbre, se roulaient par terre en gazouillant ou trottaient à quatre pattes à la poursuite d'une chaussure. Évidemment, sur les hauteurs d'Ascain, la chose a fait grand bruit. Le berger a ouvert des billes aussi rondes que des pelotes, puis a dégringolé la colline. Le lendemain, tout le village savait.

Ces gens étranges étaient simplement en atelier de travail. Ils cherchent le clown caché au fond d'eux-mêmes. Au fond de leur corps, de leur âme. Et parfois, pour le trouver, il faut courir à quatre pattes derrière une chaussure. L'association Ateliers pas'sages de Clairac, en Lot-et-Garonne, propose à des adultes consentants de s'intéresser à leur clown intérieur. Pourquoi ?

Euh, parce que le proverbe chinois dit : « Si quelque chose d'idiot vous rend heureux, faites-le ! » En gros, ces personnes qui sont des instits, des assistantes sociales, des techniciens agricoles et des maçons cherchent le bonheur. La formatrice, Corinne Girard, une solide blonde au sourire franc, vous accueille en vous serrant la main comme s'il s'agissait d'un panier à salade. Comme vous n'êtes pas une salade, vous vous sentez ridicule. Mais qu'est-ce que le ridicule ?

Une bergerie sans eau

Dans cette bergerie sans eau courante ni électricité, ce groupe de travail apprend à se défaire des faux-semblants et du costume social.

« Il s'agit d'un travail sur soi, qui amène à se découvrir, à toucher du doigt ses blocages et à repérer ses émotions afin d'éviter de se laisser submerger. Qui est le clown ? », questionne Corinne Girard. « Nous cherchons à reconnaître ce petit personnage, comme le tout petit enfant, qui est tapi en toi-même, saura alléger tes émotions et te montrera la vie autrement. Avec légèreté. »

Chaque matin, avec le lever du jour, le groupe va marcher dans la montagne, dire bonjour au soleil. En silence. Après quelques exercices de qi gong, chacun peut venir prendre un petit déjeuner. Il reste une heure pour préparer le repas du midi, tous ensemble, puis les ateliers débutent autour du chêne, devant la bergerie.

Les ateliers, même si les protagonistes portent le nez rouge, ressemblent souvent à des séances de thérapie de groupe. Lâcher ses émotions et laisser aller provoque quelques angoisses, voire des larmes. Carine a 29 ans, la benjamine du groupe. Elle est technicienne agricole, toute douce avec de fines lunettes. Très timide, empruntée dans la vie, elle voulait « faire des bêtises et un terrain de jeu pour s'amuser ». Son clown est un personnage lunaire plutôt poilant.

Françoise est une infirmière tonitruante. « Je voulais faire un travail autour du ridicule. La peur du ridicule empêche d'avancer. Je suis très complexée. Ici, j'ai découvert mon espace de liberté, je recharge mes batteries et, du coup, je peux mieux m'occuper des autres. J'ai trouvé mon clown, mais il a besoin de grandir encore. »

Quête intérieure

Philippe est maçon. Clown le plus abouti, son rire massif ponctue les journées du groupe. « Le clown a changé mon rapport au monde », dit-il. Éliette, institutrice retraitée, voulait se confronter à un autre « moi » ; Annie voulait être ce qu'elle n'est pas dans la vie, et Éliane, assistante sociale, tient à lâcher le superflu, « abandonner l'ego et l'apparence ».

Les ateliers de clowns sont dans l'air du temps, comme une nouvelle technique de quête intérieure. Il en existe beaucoup d'autres, moins rigolotes. Sur les hauteurs d'Ascain, on dédramatise pas mal les noeuds et les tensions. Les repas sont joyeux. On fait, certes, pipi dans la sciure, mais tout le monde repartira avec son clown et un nouveau nez.

Évidemment, l'arbre centenaire et le berger basque, eux, vont encore faire des cauchemars pendant longtemps. Mais Éliane, qui a voleté avec un pantalon sur les épaules comme un oiseau des îles en faisant de grands youyous, le sait désormais : le ridicule ne tue pas.

 

Auteur : ISABELLE CASTÉRA